Consignes de l'atelier d'écriture :
Evoquer deux êtres liés à notre enfance. Il se passe des choses du point de vue de l’enfant, de notre enfance …
Premier personnage
Paris
Monter à Paris chaque hiver
Pour y retrouver ses grands-parents
Une semaine, tout juste.
Arrivée en voiture
Bagages sortis du coffre
Courir devant l'allée, ancienne et combien familière
9 square de Geyter.
Sonner sur le bouton rond, pas comme à Lyon
Les portes forgées devant le verre dépoli
L'escalier ciré qui sent bon, qui sent bon !
La montée d'escalier
La boule de marbre à la base de la rampe
Les marches de bois, pas comme chez moi
La porte massive
Le nom gravé sur la grande plaque de laiton qui brille sur le bois
Et la question qu'on ne pose plus
"Pourquoi LESSELLE, au lieu de LESSELBAUM ?"
C'est du passé
L'important c'est maintenant :
On sonne, instant magique, unique
La porte s'ouvre
Mémé Germaine, toute ronde et petite
Ses yeux gris bleu mouillés
Et son tablier
Avec dans sa main
Comme chaque fois
Enfouie dans son écrin de papier doré,
Notre barre de chocolat préférée !
2ème personnage
Pépé Charles, lui, est assis à la grande table du salon.
Peignoir grenat, écharpe de soie autour du cou,
grand front plissé par la lecture du journal avec lunettes ombrées au bout du nez.
On s'approche pour l'embrasser, et de son visage sérieux et ridé,
jaillit un grand sourire rempli d'un bonjour à l'accent venu d'ailleurs,
un ailleurs qu'on nous a conté, petit à petit.
Les rondeurs de mémé Germaine contrastent avec le corps et le visage émacié de Pépé Charles.
La pendule qui trône derrière lui sur la cheminée condamnée
égrenne un temps qu'on n'a pas connu.
Elle sonne tous les quarts d'heure et on aime l'entendre.
Tout est à sa place, exactement comme l'année dernière.
Posée dans la bibliothèque, la photo de son père, notre arrière-grand-père,
avec peut-être un peu plus de poussière,
et au-dessus la balalaïka rapportée d'un autre monde.
Et le silence, entrecoupé par quelques formules ordinaires de retrouvailles familiales.
Mémé Germaine lui porte la soupe, la compote,
un menu diète qui, accompagné de gymnastique matinale devant la fenêtre grande ouverte hiver comme été,
firent de lui un centenaire...
Remarque de l'auteur : enfant, on savait faire attention à tous ces détails extraordinaires, qui nous permettaient ainsi d'échapper au temps.
A propos d'un enfant qui est en rapport avec les 2 personnages
Un nom me vient qui flotte en guise de visage entre mes grands-parents :
Serge
Nom fameux, nom répété, nom sussuré, nom raconté,
Serge le bel enfant, Serge aux boucles d'or
Serge le frère de mon père
le frère perdu, le fils disparu
et qui pour moi a toujours existé
dans le bruissement des mots, des souvenirs évoqués au présent,
qui nous tranportent, nous les enfants, dans l'hier si facilement.
Ce visage il est vrai si doux, et les photos en témoignent, est devenu éternité
et promesse de tous les possibles.
Plus tard j'ai su, qu'à l'aube de son mariage,
un banal accident les avaient séparés pour longtemps...
Un samedi ou un dimanche chez nos deux personnages
Les vacances chez Pépé Charles et Mémé Germaine, c'était tous les jours dimanche.
Pas de réveil, pas d'empressement, le temps qui s'étire et nous invite à découvrir tous les recoins du temps, tous les trésors de l'appartement.
Fouiner dans l'établis de maroquinier de mon grand-père, s'emparer de ces ouvrages de cuir finement travaillés, empilés dans des tiroirs, ayant fini leur histoire, mais toujours enveloppés de leur délicat papier de soie ou camouflés dans des boites qu'on s'empressait d'ouvrir, avides de nouvelles trouvailles !
Rester allongée de longs moments sur le lit d'amis au bois sombre semblant provenir de l'éternité. Sentir sous la peau les vagies di couvre-lit bleuté et perdre son regard dans la contemplation de bibelots, de shmatès si précieux !
Descendre au square, avec pépé, pour se promener, puis remonter.
Le temps suspendu au coeur d'un autre temps.
Une journée d'un des deux personnages
Une jounée que n'aurait jamais vécu ma grand-mère, du temps où je l'ai connue.
Se lever vers 10 heures, fouiller dans son armoire pendant 50 minutes pour choisir la tenue du jour, passer 1 heure dans la salle de bain, le temps d'un bain moussant jusqu'aux oreilles puis maquillage sophistiqué jusqu'au rouge cerise au bout des lèvres.
Sortir enfin de la maison sans une once de ménage. Au programme : les boutiques sur les Champs Elysées, pause déjeuner avec les copines, séance ciné à 17 heures, retour au bercail à 19 heures et sandwich pour tout l'monde !
Non, Mémé Germaine n'aurait jamais oser passer une journée pareille !
Mémé Germaine, c'était plutôt : Lever matinal, chaussons à pas feutrés sur le parquet, un brin de toilette, puis filer sans bruit à la cuisine, mettre le tablier, préparer le petit déjeuner, veiller à ce que tout soit prêt, murmurer pour ne pas déranger, et organiser la journée pour mon Pépé.
Une journée de l'autre personnage
Je regarde Pépé Charles
les yeux piqués dans le journal
le journal du jour certainement
mais hier, c'était comment ?
Journal intime hermétiquement fermé.
Des indices égarés ça et là
m'attirent dans le passé.
Mariage, familles réunies, évidence des sourires,
clichés instantanés, bonheur figé,
malheur camouflé, mal dissimulé :
jours percutés
jours froissés
Jours terrifiés
Jours oubliés
jours à démolir
journal du jour à ouvrir
pour reconstruire les jours.
Souvenir de l'un ou de l'autre personnage
Se souvenir
C'est souffrir
Alors ne rien dire
En finir avec le pire
Le faire périr
Pour pouvoir rire
Et pourtant
L'oeil trahit
S'humidifie
Le silence parle
Les lèvres tremblent
Et le coeur bat au rythme
Des souvenirs
Maudits.
Une journée exceptionnelle
De Paris à Saint-Jean-de-Luz
Mémé Germaine était là, Pépé Charles aussi,
et certainement mes parents.
Voilà la seule certitude qui me reste de cette journée exceptionnelle
où j'ai découvert un tel trésor que maintes fois je l'ai raconté pour me persuader de ne pas l'avoir rêvé :
Toute petite, assise au bord de l'eau, le regard posé sur le sable.
Soudain mes yeux s'écarquillent et mes petits doigts n'y croient pas non plus :
j'approche mon visage pour chasser le mirage, mais non, c'est bien ça :
mes mains plongent dans le sable pour en prendre de pleines poignées, et que vois-je ?
Chaque grain n'en est pas un,
c'est à peine croyable !
C'est si petit et pourtant vrai !
Ces grains de sable sont de microscopiques coquillages venus pour moi s'échouer par milliers sur le rivage...
Les personnages se retrouvent seuls (départ des enfants)
Les enfants sont partis,
partis,
au début pour un moment,
puis pour très longtemps.
On les a cachés
pour mieux nous cacher, nous aussi.
Quel jeu de cache-cache intrigant
entre parents et enfants !...
Où sont les enfants ?
Où sont nos parents ?
Jusqu'à quand ?
Ils vont comment ?
Sommes-nous vivants ?
Le néant.
On attend,
jusqu'au bout du temps.